xxx LA
MARQUETTE ET LE POINT DE CROIX xxx
"Marquer" nous renvoie à la "marquette", en
France
cette pièce de tissu ou de toile à canevas carrée
était confiée à la jeune fille à sa puberté, à la période des premières règles,
elle devait la broder au fil rouge. Elle devait exécuter toutes les lettres de l'alphabet
et tous les chiffres, ainsi que son prénom et son nom, ainsi que son âge, et la date.
"Façons de dire, façons de faire" est un ouvrage de l'ethnologue Yvonne Verdier
Un alphabet rouge brodé au point de croix sur une toile ancienne, des lettres, majuscules, minuscules, de styles différents, quelques fleurs stylisées, une
frise tout autour, une date, un nom de lieu, un prénom, celui de la brodeuse, avec son âge, le plus souvent entre 6 et 12 ans...
Ainsi se présente d'ordinaire
le "marquoir", mot presque oublié, qui raconte à notre imaginaire, avec une grande fraîcheur, l'histoire des grands-mères de nos grands-mères. Franche et simple écriture qui n'existerait pas
sans la trame qui lui sert de page blanche.**
Lorsqu'au XVIIe siècle les petites filles commencent à apprendre à lire, à la maison d'abord, puis
dans des institutions religieuses, la broderie vient juste après la lecture dans la suite de leurs travaux. Durant plusieurs décennies, c'est par le fil rouge que les petites filles
accèdent au premier degré de l'écriture. La plume ce sera pour plus tard... parfois jamais.
De l'école
religieuse à l'enseignement public, le point de croix, appelé aussi "point de marque", trouve sa place dans les programmes scolaires. Les fillettes apprennent à
lire, à écrire, à compter et travaillent chaque jour à leur "marquette", cette pièce de tissu sur laquelle
elles s'exercent à broder l'alphabet et les chiffres qui marqueront un jour leur linge. De marquette en marquette, elles sauront bientôt broder "par coeur" ces lettres rouges, et
devenues expertes, réaliseront alors leur marquoir.
Ces pièces, souvent mentionnées dans les testaments tant
elles sont importantes dans la généalogie féminine, sont parfois de véritables petits chefs-d'oeuvre qui passent de mère en fille. Les collectionneurs d'aujourd'hui se souviennent-ils qu'au
sortir de l'école, les filles préparaient leur trousseau et le marquaient de leurs initiales en attendant sagement un mari ? Ainsi, de l'enfance à
l'adolescence, le point de croix accompagne l'attente et la transformation des jeunes filles.
Il n'y a
pas bien longtemps encore, en milieu rural, "marquer son linge" avait un double sens dans l'univers
féminin qui s'affairait autour du trousseau des filles pubères. Ce dernier les accompagnera, jeunes femmes, dans leur nouvelle existence et sera intimement mêlé à tous les évènement de leur
vie.
Dans la joie ou la souffrance, de la naissance à la mort, linge sali, lessivé, blanchi, mais portant toujours dans un coin ces lettres rouges
: traces indélébiles d'une identité de femme qu'il nous arrive encore de retrouver dans nos armoires. Trousseau, lieu de mémoire.
Symbolique du rouge de l'amour, du sang, de la vie.
(extrait "La Broderie du Linge de Maison" de Eglé Salvy)