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Présentation

  • : Le Sang des Femmes
  • : BIENVENUE dans ce blog, qui fait suite à un cycle radiophonique menstruel consacré aux mentruations. Emission "Les Petits Papiers", sur les ondes de Canal Sud Radio 92.2FM à Toulouse. Proposé par Fatima Guevara, Isabel S., S. Bockel & Or-Or.
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NEW : Le SANG des FEMMES II

:::::: NEW :::::: Pour continuer de vous instruire sur les menstruations voici la suite de ce blog

sur "Le SANG des FEMMES II", et l'adresse la voilà : http://lesangdesfemmes2.blogspot.com

:::::: NEW :::::: avec les rubriques habituelles et l'actualité des menstruations : le marketing des menstruations, les innovations ...

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1- Sang menstruel dans l’art contemporain : pour en finir avec les stratégies du rapt, la reconquête du féminin. / Claire Lahuerta
2- L'Art du Con / OR-OR

 

Mis en ligne le 9 mai 2007 sur http://brunnicolas.wifeo.com/textes.php

Retranscrit ici sans les notes pour des raisons de place,
la bibliographie est incluse dans la section "Livres et docs sur les menstruations" de ce blog.

Le texte est consultable en version intégrale dans l’ouvrage : Représentation et Modernité, sous la direction de Dominique Château et Claire Leman, Publications de la Sorbonne. Paris, 2003, p 169 à 196.

 

“ La femme paye ses dettes à la vie en une seule monnaie : non par ce qu’elle fait,

mais par ce qu’elle est. ” / Lou Andreas-Salomé

 

     L’histoire du sang menstruel est complexe et fondamentale, tant sur le plan artistique qu’anthropologique. Ce sang si singulier, et pourtant peu étudié, incarne d’une part le corps et l’identité féminine, d’autre part les cruautés, violences et actes d’oppressions auxquelles les femmes ont été soumises au nom de la peur qu’a suscitée cette étrange sécrétion. Elles ont dû se plier à de multiples humiliations, face à des hommes effrayés qui les ont peu à peu dépossédées de leur corps, de leur sexe, de leur identité. L’emprise masculine sur ce sang qui n’appartient pourtant qu’à elles a fait l’objet de multiples pratiques artistiques, souvent violentes et misogynes, mais nous verrons que l’art contemporain offre aussi certains signes de la reconquête du féminin.

 

    À travers l’analyse des thèmes du déchet, de la limite corporelle et de la violence faite à l’encontre du corps des femmes, nous tenterons de comprendre de quelles manières le sang menstruel a été utilisé par différents artistes, ainsi que les principaux aspects des données sociales qui ont favorisé son émergence dans la sphère artistique. “ L’art sociologique se situe dans la vie. L’art sociologique se situe en dehors de l’art. "

    Muse paroxystique, Vénus offerte, béante, pillée, le corps de la femme est encore, dans certaines cultures, un véritable terrain miné (l’Afghanistan en est, aujourd’hui, un intolérable exemple) ; champ de bataille, il est le lieu emblématique d’un combat absurde : celui de la différence sexuelle. Pour en finir avec ce rapt, quelles alternatives les artistes proposent-ils pour reconstruire sur des ruines ?

 

http://artquizzbacchus.free.fr/bacchus4.htm

 

Le corps dévastateur/dévasté : la violence en acte


    Le flux menstruel, dans les sociétés primitives, apparaissait comme un phénomène manifeste bien qu’inexplicable. Les jeunes filles, un beau jour, grâce à une entente secrète et mystérieuse avec la lune, se mettent à perdre périodiquement du sang. Puis, de façon aussi mystérieuse, elles peuvent arrêter ce sang et en faire des bébés.

    De cet état terrifiant de tabou, où elles refusent le contact et le rapport aux hommes, - état où la femme se sent simultanément sainte et impure -, fut initialement établi le noli mi tangere (ne me touche pas) des femmes pendant cette phase. La menstruation causant une certaine indisponibilité, sexuelle et sociale, les hommes réagirent immédiatement pour se venger d’être exclus ; les exemples de croyances populaires sont infinis ; en fait, il n’y a pas de limite aux maux qu’apporte la femme qui menstrue.

    En Occident, les pouvoirs attribués à la femme sont presque systématiquement néfastes. “ L’approche d’une femme en cet état fait tourner les moûts ; à son contact, les céréales deviennent stériles, les greffons meurent, les plantes des jardins sont brûlées, les fruits des arbres sous lesquels elle est assise tombent ; l’éclat de miroirs se ternit rien que par son regard, la pointe du fer s’émousse, le brillant de l’ivoire s’efface, les ruches des abeilles meurent ; même le bronze et le fer sont attaqués par la rouille et le bronze contracte une odeur affreuse… ”.

    Le corps des femmes est un corps étrangement dévastateur, un phénomène surnaturel, maléfique la plupart du temps. “ Fort heureusement, - écrit Briffault -, de même que tout poison peut avoir des applications bénéfiques, on voit, selon l’époque et le pays, des jeunes filles se promener à dessein au moment de leurs règles à travers bois et pâturages pour détruire, grâce à leurs miasmes toxiques, les chenilles, les sauterelles et autres insectes nuisibles des jardins. ”

    Cet étrange sang, magique et hors du contrôle des hommes, est un élément inquiétant ; le corps de la femme en devient menaçant. De là son statut bascule : cette femme incontrôlable qui, lorsqu’elle n’est plus la muse, lorsqu’elle ne jouit plus de la faveur de l’autorité des hommes, lorsqu’elle réfute sa mise en tutelle, ne peut être qu’un cadavre, une charogne, - les poètes l’ont assez dit -, une bête implacable et cruelle. Car en faisant d’elle une bête noire, une furie (une hystérique), en lui ôtant son humanité, l’homme souverain et créateur, blessé, la réduit et cherche à la soumettre, regagnant de fait son statut de mâle dominant.

 

Abjection du corps qui déborde

    Si les superstitions populaires sont moins prégnantes aujourd’hui (en particulier à propos de l’aspect magique et surnaturel), les civilisations contemporaines entretiennent encore un certain nombre de croyances relatives à l’abjection qu’évoque l’écoulement corporel et son rapport à la mort. Corps ouvert, suintant, incontrôlé parce qu’incontrôlable, la femme porte en elle les attributs de ce qui la condamne : sa propre décomposition.

    De sorte, elle est considérée, de nature, comme plus périssable que l’homme, mais surtout coupable d’une telle abjection, parce qu’incapable de se maîtriser. Simone de Beauvoir nous dit : “ le sexe féminin est mystérieux pour la femme elle-même, caché, tourmenté, muqueux, humide ; il saigne chaque mois, il est parfois souillé d’humeurs, il a une vie secrète et dangereuse. […] Tandis que l’homme “ bande ”, la femme “ mouille ” ; il y a dans le mot même des souvenirs infantiles de lit mouillé, d’abandon coupable et involontaire au besoin urinaire ; l’homme a le même dégoût devant d’inconscientes pollutions nocturnes ; projeter un liquide, urine ou sperme, n’humilie pas ; c’est une opération active ; mais il y a humiliation si le liquide s’échappe passivement car le corps n’est plus alors un organisme, muscles, sphincters, nerfs, commandés par le cerveau et exprimant le sujet conscient, mais un vase, un réceptacle fait de matière inerte et jouet de caprices mécaniques. Si la chair suinte, comme suinte un vieux mur ou un cadavre, il semble non qu’elle émette du liquide mais qu’elle se liquéfie : c’est un processus de décomposition qui fait horreur. ”

    Le corps est en effet un ensemble cohérent, un organisme résistant, fonctionnel et efficace, qui ne doit à aucun moment faillir ; le moindre écart à cette rigueur corporelle n’est que le signe d’un accident ou d’une maladie, d’une défaillance en tout cas qui catalogue l’individu dans la catégorie des inaptes, des faibles, et qui induit de fait sa prise en charge de la part des valides. L’apparence physique, l’aspect extérieur, doit donc être sans faille, lisse et imperméable.

    Dès lors que cette imperméabilité est mise en cause, c’est tout le statut de l’individu qui s’effondre. “ L’intérieur du corps vient dans ce cas suppléer à l’effondrement de la frontière dedans/dehors. Comme si la peau, contenant fragile, ne garantissait plus l’intégrité du “ propre ”, mais qu’écorchée ou transparente, invisible ou tendue, elle cédait devant la déjection du contenu. ”

 

Kiki SMITH : Train, 1993 

Kiki Smith

    La sculpture-installation Train de Kiki Smith est une allusion directe aux menstrues et à ce corps débordant. Un moulage en cire blanche d’une femme à moitié accroupie laisse couler sur le sol de la salle d’exposition une rivière de perles de verre rouges. Les perles font partie du langage plastique de Kiki Smith. Elle utilise les mêmes perles dans l’installation Veines et artères. Le corps féminin est au centre de son œuvre, elle n’hésite pas à le montrer sous tous ses aspects, jusqu’aux plus avilissants : en train de déféquer ou bien suivi par la longue traîne du sang des règles.

    Elle utilise des moulages de corps pour une sculpture traitant de l’organique et des cycles de la vie (menstruation, fécondation, mort…). Ses moulages donnent un aspect d’enveloppe corporelle fragile et grossière, s’opposant à une vision scientifique objective. “ Regarder l’œuvre de Kiki Smith, c’est être confronté à un corps qui s’affirme, mais qui n’arrive plus à fonctionner comme un tout. ”.

 

    Corps fragmenté, décomposable et décomposé, liquéfié, propre au genre féminin. L’homme est celui qui peut réprimer les liquides organiques par l’intermédiaire d’un moi-peau imperméable. Par contraste, la femme est désignée comme le réceptacle passif de ces liquides, un réceptacle qui a ceci de particulier qu’il n’arrive jamais tout à fait à retenir le liquide qu’il est censé endiguer. L’angoisse que peut provoquer cette perte incontrôlable est en effet très forte chez la femme mais aussi dans la conception que l’homme a d’elle : il a une maîtrise de son corps qu’elle n’a pas. Chez Kiki Smith, l’intérieur déborde ; (Train renvoie en ce sens la scandaleuse performance de Carolee Schneemann en 1975, Interior Scroll, où l’artiste déployait un rouleau intérieur, tirant de son vagin un texte long et étroit sur lequel était inscrite son affirmation d’identité de femme ni passive ni victime.).

    La psychanalyste Julia Kristeva fait appel à la notion d’abjection lorsque “ le sujet affirme sa subjectivité par expulsion de ce qui est culturellement défini comme impropre. Ainsi en va-t-il des liquides organiques tels que les larmes, le lait, les excréments, le sang menstruel, le sperme : dans les sociétés occidentales modernes, les éléments sont représentés, perçus et vécus comme de la saleté qui doit être évacuée pour assurer le propre de l’individu. ”.

cornaline roulée Kiki Smith déclare : “ J’entends faire des œuvres qui n’excluent pas, et parfois, informent - par exemple, sur l’étendue de la surface de la peau ou la quantité de sang contenu dans le corps, - je veux le montrer aux gens, le rendre matériel, pour qu’ils puissent ensuite penser à l’importance de cela dans leur existence. ”. Travail sur l’intériorité exhibée, son œuvre se rapproche en ce sens de celle d’Orlan ; mais Kiki Smith s’en tient, elle, à des symboles plastiques, très efficaces : une femme marche, et, simultanément, se retourne sur son passé, son histoire : elle fixe et observe à la fois la configuration de ce qui a été, lourd passé qu’elle traîne littéralement derrière elle, et préfigure, du pas qui avance, ce qui sera, son avenir.

 

Du rapt à la reconquête du féminin : construire sur des ruines

 

    “ Tant qu’elles ne le feront pas, tant qu’elles ne chercheront pas à se comprendre aussi passionnément et aussi profondément qu’il se peut dans leur différence d’avec les hommes - et tout d’abord exclusivement dans cette différence -, en utilisant à cette fin, scrupuleusement, les moindres indices de leur corps comme de leur âme, elles ne sauront jamais avec quelle ampleur et quelle force elles peuvent s’épanouir, en vertu de la structure propre à leur essence, et combien, en fait, les frontières de leur monde sont vastes. ”

 

Statut et circulation du sang menstruel

    Le sang menstruel, nous l’avons vu, est un déchet corporel. “ Qu’est-ce que le déchet ? C’est le nom de ce qui a eu un nom, c’est le nom du dénommé. ” Appliqué à notre étude, cette définition prend un sens particulier. Le travail de dé-nomination entrepris par l’homme à l’encontre de la femme a besoin d’être invalidé, et ce sang renommé, au nom de sa propriétaire et par elle : la femme a le droit retrouver son identité, ce qui lui appartient de manière viscérale. La récupération de son identité passe en outre par la récupération de cet élément organique.

    Or un des points fondamentaux de l’histoire du sang des femmes réside précisément dans la complexité de sa circulation. Ce qui fonde la nature du déchet, c’est sa perte de valeur d’usage, ainsi que la non-valeur d’échange qui en découle. On peut s’interroger sur les raisons qui ont permis l’intrusion - importante - du déchet ou du rebut dans l’art contemporain. Doté de mémoire, usé, déformé, il porte la marque et la cicatrice des gestes des hommes ; il résume à lui seul un passé et le cristallise.

 

L'image “http://www.pouvoirdespierres.com/pierres/cornaline2.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.    L’art s’octroie le droit de récupération et s’offre la possibilité de transfigurer le déchet, de lui donner un nouveau statut, valorisé et valorisant : celui de l’œuvre. Le choix du matériau ne se fait pas par hasard, il recèle un sens très fort enfoui, une profondeur sédimentée dans la masse ; la limite entre le rebut, le déchet et les matières ordinaires est très mince. “ Entre le moment où la pelure d’orange passe à l’écorce - laquelle fait partie intégrante du fruit et l’on a plaisir à la caresser - à l’épluchure qui finit à la poubelle, il n’y a somme toute qu’un laps de temps très court. ”

    Il y a donc un moment de latence extrêmement important, moment du déplacement d’un élément corporel d’une personne vers l’autre, plus précisément d’un sexe à l’autre, du féminin au masculin. Comment cet élément est-il transmis ou manipulé ?

    Ce déchet n’est à aucun moment un objet, il appartient en propre à un individu, il a chu d’elle, ce sont “ ses ” règles. “Quand les femmes décrivent leur période de fécondité, elles se l’approprient pleinement : “ mes règles ”. Appartenant à un sexe de manière physiologiquement exclusive, il n’est pas cessible. Une fois sorti du corps, il est un déchet corporel certes, mais reste très attaché au corps de sa propriétaire. Ce n’est pourtant plus totalement elle. La femme ne se réduit en aucun cas à son sang ni à son utérus, donc à sa fonction procréatrice non plus, mais cet élément est et reste fortement constitutif de sa réalité physiologique et de son identité sexuelle et sociale.

    Pour analyser les conditions de circulation du sang menstruel au sortir du corps, l’entreprise ethnologique et la recherche sur les dons d’organes et les greffes apportent un éclairage intéressant. (Je remercie au passage l’anthropologue Claire Boileau pour les précieuses informations qu’elle a mises à ma disposition sur ce sujet ) ; elle explique notamment : Qu’il s’agisse du sang, des organes, des tissus ou encore de cellules, ces éléments qui deviendront des greffons ne sont pas perçus comme des objets, même lorsqu’ils sont expulsés, désincarnés, ni ne restent des personnes ; en effet, tous ceux qui ont la charge, à un moment ou à un autre, de la manipulation du greffon, n’appréhendent pas l’élément corporel comme un ensemble cellulaire exempt de toute signification sociale et/ou affective.

    Les éléments corporels ne sont pas neutres, ils adoptent une sorte de statut hybride, et en ce qui concerne le sang menstruel, il ne représente plus la femme mais les femmes. Une fois sorti du corps, il prend un sens général, métonymique. Il existe une hiérarchisation de la cession des éléments corporels, selon leur degré de subjectivation, c’est-à-dire selon le processus par lequel les individus “ s’incarnent ” dans les différents matériaux corporels. C’est là que s’ancre le mieux la compréhension de ce qui est cessible de ce qui ne l’est pas, de ce qui peut-être donné ou non.

 

Le vol du sang, le rapt des femmes 

    Le don a un caractère complexe et polymorphe, il implique un rapport d’échange. Dans le cas du sang menstruel, ce rapport est invalidé, aboli parce qu’à sens unique. “ Donner semble instituer un double rapport entre celui qui donne et celui qui reçoit. Un rapport de solidarité puisque celui qui donne partage ce qu’il a, voire ce qu’il est, avec celui à qui il donne, et un rapport de supériorité, puisque celui qui reçoit le don et l’accepte se met en situation de dette vis à vis de celui qui a donné. […] Le don rapproche les protagonistes parce qu’il y est partage […]”.

 

    La saisie du sang menstruel par les hommes n’est donc pas un don mais une extorsion, un rapt. Il signifie, par extension, la réification de la femme, sa chosification, une possibilité d’emprise sur elle dans la mesure où ce sang est envisagé comme matériau neutre et non plus comme un élément hybride ; et pourtant, il est également envisagé comme la femme, dans son sens le plus métonymique et le plus péjoratif. Il n’y a donc pas - et à aucun moment - de rapport de solidarité mais d’autorité ; un rapport de supériorité s’instaure, certes, mais de la part du ravisseur.

    À partir du moment où le sang sort du corps, la menstruation passe de phénomène endogène, à une menstruation exogène, totalement dévoyée de l’identité féminine, à la libre disposition des hommes. À partir du moment où les hommes se sont octroyés l’ultime bastion des femmes, la domination était très clairement établie. De fait, la femme, lésée et agressée, se retrouve en position soumise de victime. Du point de vue de l’élaboration d’une théorie de l’obéissance, les observations ont d’ailleurs montré que, d’après la majorité des tests de soumission, les femmes sont plus malléables par nature que les hommes.

 

  Ce système d’autorité/soumission hommes/femmes qui fonde la plupart des sociétés répond à un impératif moral qui assigne à l’homme le rôle de gardien de la femme, son maître, le dominant, donc elle, la dominée, et ce, en fonction de répartitions sociales (intérieur/extérieur, etc.) dictées elles-mêmes par les différences sexuelles et corporelles. “ Le paradoxe est en effet que ce sont les différences visibles entre le corps féminin et le corps masculin qui, étant perçues et construites selon les schèmes pratiques de la vision andocentrique, deviennent le garant le plus parfaitement indiscutable de significations et de valeurs qui sont en accord avec le principe de cette vision : ce n’est pas le phallus (ou son absence) qui est le fondement de cette vision du monde, mais c’est cette vision du monde qui, étant organisée selon la division en genres relationnels, masculins et féminins, peut instituer le phallus, constitué comme symbole de virilité ”, et donc la femme comme menace à cause de son sang menstruel et de la peur qu’il engendre. Domination qui s’infiltre insidieusement, la femme ne s’est par conséquent que peu opposée à cet état de fait, n’a manifesté que peu de résistance.

 

Recyclage et récupération : la reconquête de soi 

    Le système de recyclage permet, par une forme d’invagination, de faire rentrer dans le circuit de la production et de la consommation les restes et déchets. L’art a souvent entretenu une certaine fascination pour les matériaux vils, issus de la vie ordinaire, de la trivialité du corps. “ La nature morte ne consistait-elle pas, au départ, en une mise en valeur des reliefs et restants (aecos asaratos) de repas plantureux ?. Certains artistes rêvèrent une sublimation des matériaux, “ J’estime que la récupération dans les ordures participe de la résurrection. ”.

    Du pillage va donc lentement naître une régénération, un recyclage en deux temps rétablissant la voie du flux et le cours des choses, mettant fin aux hostilités. “ L’art sociologique comporte donc une part essentielle d’intervention ; il se résume en une praxis, visant un double mouvement de prise de conscience et de transformation de la société. ”Les artistes femmes expriment de plus en plus une volonté d’être actives dans leur propre histoire, de s’immiscer dans leur destin. “ Toute artiste femme est féministe, indépendamment des motifs qui l’inspirent et qu’elle revendique ou des formes d’expression qu’elle adopte (…) parce qu’elle introduit sa trace dans l’univers des signes, (…), elle fait en sorte que les femmes ne soient plus dites par d’autres mais disantes, qu’elles ne soient plus vues par d’autres mais voyantes. ”Parce qu’avant d’être l’avenir de l’homme, la femme doit d’abord s’assurer du sien.

 

Construire sur des ruines : en quête d’identité

    La poétique des ruines de Diderot offre de larges perspectives dans le cadre de notre analyse et un point d’ancrage essentiel. “ Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes ”, écrit Diderot

. “ Ce genre évoque le caractère éphémère de l’univers créé par l’homme, les tyrannies anéanties, l’infini du temps et du cosmos. On saisit alors indirectement que les structures sociales ne sont pas immuables : des ruines laissées par les tyrans déchus peut naître une société nouvelle et démocratique. ”

    Dialectique temporelle, la déambulation sur un site ruiné laisse entrevoir l’éventualité d’une reconstruction, d’une renaissance. “ Un torrent entraîne les nations les unes sur les autres, au fond d’un abîme commun ; moi, moi seul, je prétends m’arrêter sur le bord et fendre le flot qui coule à mes côtés ! ”. Le regard que l’on porte alors sur le corps saccagé des femmes s’ouvre sur l’aberration d’un non-site tout à coup fécond. Élever des ruines à la dignité de monuments. Le concept de non-site de Smithon attire l’attention par le vide qu’il manifeste (la ruine et le trou noir, le continent noir de la psychanalyse et tout ce que cela induit). Un cheminement qui nous emmène quelque part, mais qui nous laisse perdus, sans vraiment savoir où nous sommes. En ce sens, le corps de la femme n’est jamais vraiment le centre de l’œuvre, il n’est que le centre d’un système en perpétuelle reconstitution.

 

    “ L’effet de ces compositions, c’est de vous laisser dans une douce mélancolie.  Nous attachons nos regards sur les débris (…), et nous revenons sur nous-mêmes ; nous anticipons sur les ravages du temps (…). Nous restons seuls de toute une nation qui n’est plus. Et voilà la première ligne de la poétique des ruines. ”

 

Au-delà du rapt : Shigeko Kubota, Antoine Roquentin

Flux positif et régénéré, le sang menstruel a donc parfois cette ambivalence d’une perte constructive. Dès lors qu’il a atteint ce nouveau statut, féminin mais non spécifique aux femmes, il devient le matériau d’une diégèse particulièrement riche. Au-delà des tensions, le flux s’infiltre entre la guerre de sexes.

 

Shigeko KUBOTA : Vagina Painting, 1965

    Pendant la Perpetual Fluxfest, Shigeko Kubota réalise la performance la plus féministe de Fluxus. Accroupie sur le sol, elle peint à l’aide d’un pinceau accroché à sa culotte et plongé dans la peinture rouge sur un papier au sol, redéfinissant ainsi “ l’Action Painting à l’aune de l’anatomie féminine ” ; par la référence directe aux cycles menstruels, elle effectue un rapprochement des processus de création et de procréation du corps féminin, permettant une jonction entre l’art et la vie.

    Référence directe aux toiles jaculatoires du créateur par excellence, Pollock, mais aussi aux cycles de changement et de développement qu’elle a connus dans sa vie et dans son art après avoir quitté le Japon pour les Etats-Unis, cette action doit être comprise comme un rejet de la muse. “ Par cette action, l’artiste reprend possession de la femme, source de sa propre inspiration artistique et genre capable de produire indifféremment de la vie véritable ou une figure représentative. ” Construire sur des ruines, voilà l’enjeu de la performance de Shigeko Kubota. Le sang devient un matériau pictural, ou plutôt, le matériau culturel qu’est la peinture appelle le sang menstruel, donnant un mélange pertinent - certains diraient fécond -d’art et de féminisme.

 

Le masculin dans l’expérience du féminin, “ Et malgré tout, ce monde lunaire m’est familier. ”

 

  Dans La nausée, le schéma du mâle créateur est inversé ; Antoine Roquentin est l’anti-mâle par excellence, il incarne le premier pas à l’intérieur d’un monde où le féminin cesse d’être non créatif.

    Il y fait “ la découverte que le doute, l’incertitude, l’inexistence et le manque, le sentiment d’être de trop, tout ce qui n’est pas l’absolu et arrogante certitude du mâle enfermé dans une surréalité forgée par sa culture, tout ce domaine qui était le ghetto répugnant, nauséeux, blanchâtre et mou des femelles, lui appartient en propre. […] Il est dans le monde du liquide, du fluide où “ tout coule ”, rien ne “ fixe ” […]. ” En témoigne cet extrait à propos de la racine noire :

    “ Ça ressemblait à une couleur mais aussi… à une meurtrissure ou encore à une sécrétion, à un suint – et à autre chose, à une odeur par exemple, ça se fondait en odeur de terre mouillée, de bois tiède et mouillé, […]. Mais cette richesse tournait en confusion et finalement ça n’était plus rien parce que c’était trop. Ce moment fut extraordinaire. J’étais là, immobile et glacé, plongé dans une extase horrible. Mais au sein même de cette extase quelque chose de neuf venait d’apparaître : je comprenais la Nausée, je la possédais. ”

    “ La nausée, c’est-à-dire ce phénomène maladif de la féminisation, où le mot nausée d’ailleurs est si clair, nausée de la femme enceinte, nausée de la femme sensible, maladive, bovarienne, la nausée donc, qu’il vit comme un poids qu’il porterait à l’intérieur de lui […].

    […] le mâle créateur est celui qui n’a “ ni sang, ni lymphe, ni chair ”. […] Après cela, la création ne peut plus être la transcendance unique du mâle, qui a besoin d’affirmer son immortalité par le rejet, dans la mort, d’une femelle réduite à néant. "

    À partir du moment où le féminin n’est plus l’apanage d’un sexe, et dans la mesure également où il n’est plus l’objet d’une extorsion ou d’un quelconque rapport de force, il devient alors un espace diégétique, un espace à créer.

 

     Le sang menstruel doit rester le sang des femmes, mais il n’est pas pour autant incessible. Il a acquit au fil de l’histoire différents statuts. Mystérieux, magique, inquiétant, menaçant, dévastateur peut-être ; menacé, dévasté, brimé, dérobé, il l’est encore. Peu importe au fond ce que l’on a pu en dire, dans la mesure où les artistes - hommes et femmes - sont la conscience de son histoire et des hérésies qui en découlent, et ne se contentent pas de perpétuer les erreurs du passé, inlassablement. La volonté des hommes dans l’art de s’approprier ce qui leur échappe est incontestablement un désir de pouvoir. Le sang menstruel est alors consenti dans tout son sens abject, de déchet, d’ordure. Les hésitations, les troubles, les doutes qui émanent de la plupart de ces œuvres ne sont hélas que le signe de la persistance hautement phallocratique des milieux artistiques.

 

    Pourtant une voie fructueuse semble s’ouvrir quand certaines pratiques explorent les ruines et les différentes modalités du sang menstruel, tour à tour exhibé comme viscère, violenté comme l’ennemi à abattre, observé comme un étrange détritus ou même magnifié (si l’on se réfère aux menstrues de la déesse de Paul Armand Gette). C’est un sang qui se doit d’avoir une mémoire ; palimpseste du corps des femmes, il est le garant d’une part importante de leur identité physiologique et sociale. L’objet des œuvres étudiées, et plus précisément de cette analyse, aura été de laisser surgir les nouvelles occurrences de ce sang, d’en dégager les points forts.

    Ainsi y aurait-il deux conclusions à tirer de cette étude. La première étant que définitivement, les femmes n’ont pas à être sous la tutelle des hommes. Et l’autre, étant que par un geste de don cette fois, de la part des femmes, rétablissant enfin l’ordre des choses, les hommes acceptent et s’accordent le droit d’éprouver ce monde lunaire comme un univers familier.

 

2- L' ART DU CON, DUCON

Toutes ces créations sont féminines, elles expriment une volonté de se réapproprier la représentation du sexe féminin.

))) créations sur le thème du vagin/vulve etc. aux USA


Georgia O'Keeffe
Black Iris III, 1926



A.JONES
Faith Wilding Peach Cunt (1971) http://web.ukonline.co.uk/n.paradoxa/ajones.htm

L'art féministe américain des années 1970 a inventé le terme de « cunt art» (cunt en anglais, con en français).

Le Cunt Art c' est représenter positivement le sexe féminin et les menstruations, sortir ces thèmes de l'ombre du fantasme ou des images phallocrates.

 
C.TEE Dessins de sexes à colorier (1974)
 
La performeuse Lady Vagina (2000)
http://www.vaginalady.com
 
costume2004.jpg
pussypurse_th.jpg
 
... sur yoni.com plein de pussies
 
Broderie http://radicalcrossstitch.com
home_img.jpg
 
))) créations sur le thème du vagin/vulve etc. en Europe
 
Le pousse-pousse de Mimosa Palen of Finland, le “Mobile Female Monument" emmène les

piétons d'Helsinki en ballade...

http://jalopnik.com/393601/giant-vulva-bicycle-taxi-is-freudian-wet-dream

http://www.bakfiets-en-meer.nl

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